Décision - RG n°19-06.875 | Cour de cassation (2023)

MOTIFS DE LA DÉCISION

1- Sur la compétence de la juridiction prud'homale:

En vertu de l'article L1411-1 du code du travail, le conseil de prud'hommes règle par voie de conciliation les différends qui peuvent s'élever à l'occasion de tout contrat de travail soumis aux dispositions du présent code entre les employeurs, ou leurs représentants, et les salariés qu'ils emploient.

Le conseil de prud'hommes est compétent pour statuer sur l'existence d'un contrat de travail et il lui appartient à ce titre, dans le cas où il n'existe pas de contrat de travail apparent, de rechercher si la partie qui revendique l'existence d'un tel contrat, exerce ses fonctions sous l'autorité et le contrôle d'un employeur ayant un pouvoir de contrôle et de sanction, pour qualifier de contrat de travail la relation contractuelle qui lie les parties.

En l'espèce, M. [Z] fonde l'intégralité de ses prétentions sur l'existence revendiquée d'un contrat de travail le liant à la société OCE et remet précisément en cause l'apparence de la relation contractuelle, telle qu'elle résulte de la facturation de prestations d'enseignement.

La société OCE conteste pour sa part la réalité d'un tel contrat de travail sur lequel le salarié fonde ses demandes.

La question soumise à la juridiction prud'homale étant relative à l'existence d'un contrat de travail relève donc pleinement de sa compétence ratione materiae, l'argumentation de l'employeur trouvant d'ailleurs sa propre contradiction lorsqu'il affirme, en page 8 de ses écritures que 'M. [Z] n'apporte aucun élément prouvant l'existence d'un lien de subordination, alors que la charge de la preuve pèse exclusivement sur l'appelant', ce dont il se déduit que la question posée est bien une question de fond qu'il revient à la seule juridiction prud'homale de trancher.

Surabondamment et alors qu'en application des dispositions de l'article 75 du code de procédure civile, il incombe à la partie qui soulève une exception d'incompétence de faire connaître devant quelle juridiction elle demande que l'affaire soit portée, il ne peut qu'être constaté que la société OCE demande dans ses conclusions signifiées le 22 septembre 2022 le renvoi devant le tribunal de grande instance de Rennes, juridiction supprimée par la loi n°2019-222 du 23 mars 2019 et remplacée depuis le 1er janvier 2019 par le tribunal judiciaire.

Le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu'il a rejeté l'exception d'incompétence soulevée par la société OCE et s'est déclaré compétent pour statuer.

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2- Sur la fin de non-recevoir tirée du défaut d'intérêt à agir:

En vertu de l'article 122 du code de procédure civile, constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.

Le conseil de prud'hommes a omis de statuer sur la fin de non-recevoir soulevée par la société OCE, tirée du défaut d'intérêt à agir qu'elle oppose à M. [Z].

La société OCE soutient à cet égard que M. [Z] a expressément refusé de signer le contrat de travail qui lui a été soumis, de telle sorte qu'il ne peut pas solliciter le juge pour se voir reconnaître un droit qu'il a lui-même refusé.

Cette affirmation est toutefois formellement contredite par les termes du courrier adressé le 29 août 2017 par l'employeur en réponse au courrier du salarié du 16 août 2017, dans lequel il est indiqué:

'(...) Par courrier recommandé avec accusé de réception du 26 juillet 2017 que nous avons reçu le 16 août 2017, sans vous référer à ces entretiens, vous confirmez votre accord sur le principe d'un C.D.I. mais vous proposez un taux horaire de 43,26 € brut (...)'.

Il est constant que M. [Z] s'est vu proposer la conclusion d'un contrat de travail moyennant un taux horaire de rémunération de 22,50 euros qu'il a entendu contester et qu'il estime avoir été lié dès l'origine des relations contractuelles avec la société OCE par un contrat de travail, l'intéressé justifiant donc d'un intérêt à agir contre la dite société qui conteste l'existence même d'un tel contrat de travail.

La fin de non-recevoir soulevée par la société OCE doit donc être rejetée.

3- Sur la demande relative à l'existence d'un contrat de travail:

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En vertu de l'article L8221-6-I du code du travail, sont présumés ne pas être liés avec le donneur d'ordre par un contrat de travail dans l'exécution de l'activité donnant lieu à immatriculation ou inscription :

1° Les personnes physiques immatriculées au registre du commerce et des sociétés, au répertoire des métiers, au registre des agents commerciaux ou auprès des unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales pour le recouvrement des cotisations d'allocations familiales (...).

Le paragraphe II de ce même article dispose que l'existence d'un contrat de travail peut toutefois être établie lorsque les personnes mentionnées au I fournissent directement ou par une personne interposée des prestations à un donneur d'ordre dans des conditions qui les placent dans un lien de subordination juridique permanente à l'égard de celui-ci.

Il est constant que le lien de subordination juridique est caractérisé par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné.

Il y a contrat de travail lorsqu'une personne s'engage à travailler pour le compte et sous la subordination d'une autre, moyennant rémunération.

La société OCE verse aux débats un extrait du site 'Société.com' dont il résulte qu'à la date du 7 décembre 2018 M. [Z] était immatriculé au registre du commerce et des sociétés sous la rubrique 'affaire personnelle personne physique' depuis le 1er novembre 1999 dans le domaine suivant: 'Création artistique relevant des arts plastiques' - code NAF 9003A.

Une telle situation juridique entraîne une présomption d'absence de contrat de travail avec le donneur d'ordre, conformément aux dispositions précitées de l'article L8226-6-I du code du travail.

Pour renverser cette présomption, M. [Z] se prévaut de ce qu'il a travaillé depuis le mois de novembre 2009 pour un unique donneur d'ordre, la société OCE, à qui il a facturé des prestations en se conformant aux plannings établis par l'école et en travaillant avec les matériels et équipements fournis par l'école.

Il ajoute qu'il devait respecter les instructions qui lui étaient données pour les programmes et les cours et qu'il devait participer à des réunions, étant intégré dans un service organisé.

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M. [Z] produit les plannings qui lui ont été remis par la société OCE pour les années 2014 à 2017, sur lesquels figurent pour chaque mois le nombre d'heures de cours devant être dispensés ainsi que, identifiées par différents codes couleurs, différentes tâches programmées telles que réunions de rentrée pour les enseignants, réunions bilans, commissions pédagogiques.

Les cours de M. [Z] étant dispensés principalement le lundi et le vendredi, il est versé aux débats des tableaux pour les années scolaires considérées, qui fixent la localisation des cours à l'intérieur de l'établissement.

Il doit ici être relevé que ces documents ont une fréquence annuelle, que rien n'établit qu'ils n'aient pas été élaborés en fonction des disponibilités de l'intervenant et qu'il n'est pas justifié de modifications de planning mises en oeuvre en cours d'année par la société OCE sans l'aval de l'intervenant.

Une note relative aux modalités de l'examen de passage de 1ère et seconde année en spécialité 'photographie' n'est pas plus probante, la participation de M. [Z] à un jury d'examen s'inscrivant non pas dans le cadre d'une directive inhérente à une relation de travail subordonnée, mais d'une composante de la prestation globale qu'il facturait à l'établissement.

L'appelant produit encore un courrier daté du 5 septembre 2016, dans lequel la directrice pédagogique de l'établissement demande à l'ensemble des membres du corps enseignant de remettre au plus tard pour le 19 octobre un programme pédagogique et de remettre les sujets d'examen finalisés au plus tard pour le 1er mars, avant validation par la direction de la société, une réunion de travail étant fixée au mois de décembre précédent pour réfléchir aux sujets d'examen.

M. [Z] justifie également de la programmation par la direction de l'établissement de commissions pédagogiques auxquelles il était convoqué à dates fixes et selon des horaires déterminés.

La fixation de dates de réunions et de consignes générales et impersonnelles dans des termes qui ne révèlent ni un quelconque caractère comminatoire, ni la manifestation d'un pouvoir de direction sur la personne de l'intervenant, s'inscrit dans le cadre habituel du fonctionnement d'un établissement d'enseignement et il ne résulte pas du document susvisé, qui apparaît d'ailleurs isolé, une quelconque contrainte s'imposant à M. [Z].

L'appelant produit encore un document intitulé 'Le guide MJM Graphic Design à l'usage des intervenants' qui contient une définition des tâches des différents acteurs de l'établissement (direction générale, direction pédagogique, coordinateur de formation, intervenant professionnel, secrétariat et service informatique), une charte de l'intervenant, des informations sur la notation et les examens ainsi qu'un règlement de l'intervenant.

Au-delà des intitulés de chapitre, le contenu de ce document ne contient que des informations à caractère général sur le fonctionnement de l'établissement, les règles relatives à la discipline des élèves et au suivi de leur formation ainsi que de leur notation, la seule consigne donnée au formateur étant celle de l'absence de validation d'un acquis en cas de note inférieure à 12/20.

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L'affirmation selon laquelle ce guide ne distingue pas selon le statut des intervenants et caractérise l'existence d'un lien de subordination ne se vérifie nullement à sa lecture, puisque s'il témoigne de l'existence d'un service éducatif organisé au sein duquel les intervenants doivent respecter une charte éducative et pédagogique, il ne contient aucun élément de nature à mettre en évidence une relation de subordination juridique et ne révèle notamment aucun pouvoir de sanction de la société OCE à l'égard des dits intervenants.

Plus généralement, en vain recherchera t'on dans les pièces produites par M. [Z] des éléments objectifs et pertinents de nature à établir que l'intéressé ait exercé son activité selon des ordres et directives précises de la société OCE, qui aurait contrôlé leur exécution et aurait sanctionné les éventuels manquements commis.

Si M. [Z] établit par la production de factures, avis d'imposition et d'un décompte pour la période 2014-2017, le fait d'avoir tiré une part importante de ses revenus déclarés en bénéfices non commerciaux (BNC) des prestations facturées à la société OCE, soit de l'ordre de 70 % des BNC déclarés entre 2014 et 2017, ce seul élément d'ordre économique est impropre à caractériser un lien de subordination juridique caractéristique de l'existence d'un contrat de travail.

Au résultat de l'ensemble de ces éléments, faute pour M. [Z] de renverser utilement la présomption d'absence de contrat de travail avec un donneur d'ordre, telle qu'elle résulte de son statut et des dispositions précitées de l'article L8226-6-I du code du travail, il doit être débouté de sa demande de requalification de la relation de travail ayant existé avec la société OCE en contrat de travail à temps partiel et de toutes ses demandes subséquentes qui dérivent de l'existence d'un tel contrat de travail.

Le jugement entrepris sera en conséquence infirmé sur l'ensemble de ces chefs de demande.

4- Sur les dépens et frais irrépétibles:

En application de l'article 696, M. [Z], partie perdante, sera condamné aux dépens de première instance et d'appel.

Il sera donc débouté de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile.

L'équité commande de ne pas faire droit à la demande de la société OCE fondée sur les mêmes dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

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Author: Neely Ledner

Last Updated: 16/06/2023

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